vendredi 9 janvier 2009

L’Imâm Abû Hanîfah Un Géant du Fiqh

ous présentons succintement le noble Imâm, célèbre sous le nom "Al-Imâm Al-A`dham" (le plus grand Imâm), Abû Hanîfah, qu’Allâh l’agrée, l’un des quatre pôles de la jurisprudence.

Introduction

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Mosquée de l’Imâm Abû Hanîfah

Le noble compagnon du Prophète, paix et bénédiction d’Allâh sur lui, `Abd Allâh Ibn Mas`ûd s’installa dans la ville de Kufa après sa construction sous le Califat de notre maître `Omar Ibn Al-Khattâb, qu’Allâh l’agrée, en l’an 17 A.H. Il était qu’Allâh l’agrée un vaste océan de science. Il enseigna aux gens la religion et la compréhension de la loi islamique. Notre maître `Abd Allâh Ibn Mas`ud fut grandement influencé par la méthodologie de notre maître`Omar Ibn Al-Khattâb dans la recherche, la déduction subtile des lois, l’Ijtihâd par l’opinion dans l’absence d’un texte du Coran et la Sunnah, avec une grande rigueur dans l’authentification du Hadîth. Parmi les plus remarquables des disciples d’Ibn Mas`ud, qu’Allah l’agrée, nous pouvons citer des juristes brillants comme `Ubaydah Ibn Qays As-Salmâni, `Alqama Ibn Qays An-Nakha`î au sujet duquel son sheikh, Ibn Mas`ud dit : " je ne connais une chose sans que `Alqamah la connaisse ". De même nous pouvons citer Shurayh Al-Kindi qui présida la Justice à Kufa sous le Califat de `Omar, et occupa cette fonction pendant 62 ans. Une génération qui n’a pas connu Ibn Mas`ud, leur succéda. Ils se sont dévoués pour porter le dépôt de la science et l’honorer en apprenant des compagnons d’Ibn Mas`ud et ses disciples. Parmi les personnes les plus saillantes dans cette génération nous comptons Ibrâhîm Ibn Yazîd An-Nakha`î, l’illustre juriste de l’Iraq, également très savant en matière du Hadîth. Ibrâhîm An-Nakha`î eut de nombreux disciples dont Hammâd Ibn Sulaymân qui lui succéda dans son cercle de science. Ce dernier était un Imâm Mujtahid, enseignant la jurisprudence dans un vaste cercle de science où s’agenouillait l’Imâm Abû Hanîfah An-Nu`mân. L’Imâm Abû Hanîfah surpassa ses collègues et son étoile brilla du vivant de son sheikh. Il lui succéda à la tête de l’enseignement du Fiqh et dirigea l’école de l’opinion. De nombreux étudiants et disciples l’ont entoure, parmi eux, se distinguèrent des gens aussi doues et dévoues que Abû Yûsuf, Muhammad et Zufar, qui ont œuvré pour la formalisation de l’école juridique hanafite.

Sa naissance et sa jeunesse

La ville de Kûfa accueillit la naissance d’An-Nu`mân Ibn Thâbit Ibn An-Nu`mân, connu par Abû Hanîfah, en 80 A.H. (699 E.C.). À cette époque, Kûfa était un foyer de science, riche en cercle d’enseignement de Fiqh (jurisprudence), Hadîth, lectionnaires et langues. Les mosquées étaient alors pleines d’Imâms entourés de disciples et étudiants assoiffés de science et d’étude. C’est là que l’Imâm Abû Hanîfah a passé la majeure partie de sa vie, d’abord pour apprendre, puis pour répandre la science. Depuis sa plus tendre enfance, après avoir mémorisé le Noble Coran, il partait s’agenouiller dans ces cercles de sciences. Toutefois, il était préoccupé par le commerce avec son père. Mais lorsque le juriste `Âmir Ash-Sha`bî vit en lui les signes de l’intelligence et la vivacité de l’esprit, il lui recommanda d’assister aux assemblées des savants et de se dépenser dans l’étude. Le jeune Imâm Abû Hanîfah donna une suite favorable à ce conseil et dirigea ses efforts et son énergie vers les cercles de science. Il rapporta le Hadîth, étudia la langue et la littérature, se versa dans la science du Kalâm où son astre brilla au point de débattre avec les apôtres des différentes sectes et de réfuter de fausses croyances en matière de Credo. Puis, il se dirigea vers le Fiqh et accompagna Hammâd Ibn Abî Sulaymân pendant dix-huit ans.

Ses maîtres

L’Imâm Abû Hanîfah accomplissait le pèlerinage fréquemment ; on dit qu’il fit 55 pèlerinages. Ces voyages répétitifs vers les lieux saints lui permirent de rencontrer de grands juristes et mémorisateurs du Hadîth (Huffâdh) et de puiser dans leur savoir. Parmi les Successeurs (tabi`îne) qu’il rencontra citons `Âmir Ash-Sha`bî (m. 103 A.H., 721 E.C.), `Ikrimah mawlâ Ibn `Ibbâs (m. 105 A.H., 723 E.C.), Nâfi` mawlâ Ibn `Omar (m. 117 A.H., 735 E.C.), Zayd Ibn `Alî Zayn Al-`Âbidîn (m. 122 A.H., 740 E.C.). Certains historiens comptent 4 mille sheikhs pour Abû Hanîfah, et selon certains récits, il aurait connu certains rares compagnons qui auraient vécu jusqu’à la fin du premier siècle hégirien, ce qui élèverait le rang de l’Imâm à celui de Successeur. Toutefois, si cela est vrai, il n’avait pas alors l’âge de recevoir une quelconque science d’eux, et il est connu qu’il était préoccupé au début par le commerce.

La direction du cercle de Fiqh

Après la mort de son sheikh, Hammâd Ibn Abî Sulaymân, la direction du cercle de Fiqh finit entre les mains de l’Imâm Abû Hanîfah qui était alors un quadragénaire. Les étudiants l’ont alors entouré pour puiser dans sa science abondante et son Fiqh. Il avait une approche d’enseignement toute originale. Face à une question juridique, il ne donnait pas la réponse directement, il exposait la question à ses disciples pour que chacun propose une solution argumentée. Puis, l’Imâm commentait les propos de ses élèves, en rectifiant ce qui mérite de l’être, puis au terme de cette discussion sondant les facettes du problème et les pistes de réponse, le professeur pédagogue et ses élèves arrivaient à une solution juridique. L’Imâm Abû Hanîfah entourait ses élèves de ses soins. Il dépensa même de son argent pour ses élèves, notamment son fidèle disciple Abû Yûsuf pour lui faciliter la recherche de science et lui épargner des difficultés financières qui constituaient un frein dans ses études. Abû Yûsuf (m. 182 A.H., 797 E.C.) dit : " Il me supporta financièrement ainsi que mes enfants pendant vingt ans. Et si je lui dis : je n’ai vu plus généreux que toi, il me répondait : qu’aurais-tu dit si tu avais vu Hammâd (i.e. le sheikh de Abû Hanîfah), je n’ai vu d’homme réunissant les nobles qualités comme lui ". Il gagnait sa vie par le commerce. Il avait à Kûfa un commerce de soie, géré par son partenaire. Cela lui permit de gagner sa vie honorablement et de se consacrer à la science et l’enseignement.

Les fondements de son école

La naissance de l’école juridique de l’Imâm Abû Hanîfah marqua l’avénement de l’école de l’opinion. Les fondements du madhab (école juridique) se sont établis de son vivant. Il les synthétisa en disant : " Je prends le Livre d’Allâh lorsqu’il contient la réponse, sinon, je prends la Sunnah du messager d’Allâh, paix et bénédiction d’Allâh sur lui, si je ne trouve pas dans la Sunnah, je prends l’opinion de ceux que je veux parmi ces compagnons, et je laisse celles de qui je veux, je ne laisse leur opinion au profit de celle d’autres personnes, et lorsque l’on en vient à l’opinion d’Ibrâhîm, Ash-Sha`bî, Al-Huss, Ibn Sîrîn ou Sa`îd Ibn Al-Musayyab, alors je recours à l’Ijtihâd comme ils l’ont fait". En cela, l’Imâm Abû Hanîfah s’accorde avec tous les juristes et Imâms du Fiqh sur le devoir de recourir au Coran et la Sunnah pour puiser les jugements légaux. Mais l’Imâm Abû Hanîfah s’est distingué par son Ijtihâd et sa méthode de déduction des jugements légaux, qui consiste à ne pas en rester à l’apparence, mais plutôt de plonger dans les profondeurs du sens des textes, leurs buts et finalités. Le fait que le noble Imâm soit connu pour le recours fréquent à l’opinion et l’analogie ne signifie aucunement qu’il délaissait les narrations et les traditions du Prophète, ou que sa marchandise en science du Hadith était peu de chose. La vérité est que l’Imâm Abû Hanîfah avait des critères stricts d’acceptation des narrations, traduisant un grand souci d’authentification. C’est cette stricte rigueur que s’est imposé l’imâm Abû Hanîfah qui fit qu’il a exploré en profondeur ce qui, selon ses critères, était authentique et qu’il recourra à l’analogie dans la nécessité en se référant à la base authentique qu’il a agrée. Le génie de l’Imâm se manifesta dans les questions qui lui ont été posées, mais l’Imâm déploya sa science et son intelligence en supposant des hypothèses, en imaginant des cas de figures qui ne s’étaient pas produits, puis il les étudiait en profondeur et exposait les jugements légaux relatifs. On appelle cela " Al-Fiqh At-Taqdîrî ", le Fiqh Hypothétique, et l’on dit qu’Abû Hanîfah en est le pionnier. Il a été rapporté que l’Imâm a posé soixante milles questions juridiques de ce type.

Ses disciples

Nous ne connaissons pas de livre de Fiqh écrit par la plume de l’Imâm Abû Hanîfah. Cela n’est pas en contradiction avec le fait qu’il dictait à ses disciples et élèves des opinions juridiques et des verdicts. Contrairement aux écoles juridiques d’autres grands Imâms contemporains à Abû Hanîfah, l’école de l’Imâm ne s’est pas éteinte. Dieu a mis au service de cet Imâm de nombreux disciples, brillants et fidèles, qui ont conservé précieusement et inscrit les opinions juridico-légales de leur sheikh. Parmi les plus célèbres de ces disciples, citons :

  • Abû Yûsuf Ya`qûb Ibn Ibrâhîm, décédé en 183 A.H. soit 799 E.C. Il est considéré comme le premier à composer des ouvrages de l’école juridique hanafite. Certains de ses écrits nous sont parvenus comme Al-Âthâr, où il rapporte un Musnad de l’Imâm Abû Hanîfah compilant des hadîths sur lesquels l’Imâm s’est appuyé dans certaines de ses fatwas. Nous citons aussi le livre La divergence entre Abû Hanîfah et Ibn Abî Laylâ, où Abû Yûsuf rassembla certaines questions juridiques au sujet desquelles l’Imâm Abû Hanîfah divergea avec le célèbre juriste de Kûfa, Ibn Abî Laylâ. Dans ce livre, se tisse en filigrane une image des débats scientifiques très pointus et très riches entre les savants de cette époque et Abû Yûsuf a pris le soin de réunir les arguments des différents juristes qui ont divergé, même si, très souvent, il retient l’opinion de son sheikh, l’Imâm Abû Hanîfah. Il est également l’auteur du célèbre Al-Kharâdj (Les Impôts), qu’il écrivit à la demande du Calife Ar-Rashîd. Les postes qu’il a occupés dans la Justice lui ont permis de répandre l’école hanafite. En effet, il travailla dans la justice sous le Calife Abbaside Al-Mahdî, puis il occupa, pour la première fois de l’Histoire islamique, le poste de Grand Juge, sous le califat de Hârûn Ar-Rashîd.
  • Muhammad Ibn Al-Hasan Ash-Shaybânî, décédé en 185 A.H., soit 805 E.C. Il a probablement joué le plus grand rôle dans la consignation des opinions de l’école hanafite. Il fut le disciple de l’Imâm Abû Hanîfah pendant une courte période, puis poursuivit ses études auprès de Abû Yûsuf. Il apprit aussi la science auprès d’Al-Awzâ`î et Ath-Thawrî. Il voyagea à Médine et apprit de l’Imâm Mâlik, que Dieu l’agrée, le Fiqh du Hadîth et de la Narration.

L’inscription du Madhhab ou Ecole Juridique

Les livres de Muhammad Ibn Al-Hasan Ash-Shaybânî ne nous sont parvenus entièrement. Certains de ses livres comme Al-Mabsût, Az-Ziyâdât, Al-Jâmi` As-Saghîr, Al-Jâmi` Al-Kabîr sont qualifiés par les savants " Kutub Dhâhir Ar-Riwâyah ", en ce sens qu’ils ont été rapportés par des hommes de confiance et fiables parmi ses élèves ; ils lui sont attribués donc par une large base de transmission. Abû Al-Fadl Al-Marûzî, célèbre sous le nom Al-Hâkim Ash-Shahîd (m. 344 A.H. soit 955 E.C.), a réuni ces livres (Kutub Dhâhir Ar-Riwâyah), après omission des répétitions, dans un ouvrage intitulé Al-Kâfî qui fut commenté et expliqué par Shams Al-A’immah As-Sarkhasî (m. 489 A.H. soit 1090 E.C.) dans Al-Mabsût (l’Etendu). Al-Mabsût, ouvrage encyclopédique imprimé en trente volumes, est compté parmi les livres les plus importants de l’école hanafite, réunissant les paroles des Imâms de cette école, les fondements liés aux questions juridiques, les preuves employées et la nature de l’analogie.

Propagation du Madhhab

Le Madhab (école juridique) de l’Imâm Abû Hanîfah, que Dieu l’agrée, se répandit dans les terres islamiques notamment avec le rôle clef de Abû Yûsuf, occupant le poste de Grand Juge de la dynastie abbaside. Il devint le madhab officiel de cette dynastie, ainsi que le madhab des seldjoukides et de l’Empire Ottoman. Cette école juridique, l’une des quatre écoles juridiques sunnites prévalantes, est répandue dans la plupart des terres islamiques, avec une présence dominante en Haute-Egypte (alors que la moitié Nord est chaféite), des régions de Syrie et d’Iraq, au Pakistan, en Inde et en Chine.

Mort de l’Imâm Abû Hanîfah

Dieu a accordé à l’Imâm Abû Hanîfah une longue vie, pleine de piété et de science. Il lui a aussi accordé des disciples brillants qui ont appris son Fiqh et ont répandu son école juridique, comme Abû Yûsuf, Muhammad Ibn Al-Hasan, Zufar, Al-Hasan Ibn Ziyâd... Ses contemporains ont témoigné de ses mérites, sa généreuse science, son excellence en Fiqh si bien qu’An-Nadir Ibn Shumayl dit : " Les gens étaient endormis, négligeant le Fiqh, jusqu’à ce qu’Abû Hanîfah les réveilla par ce qu’il a expliqué et exposé". Il nous suffit le témoignage plein d’admiration et de respect que fit notre Imâm Ash-Shâfi`î, le soleil des juristes, au sujet de l’Imâm Abû Hanîfah : "En Fiqh, les gens sont des enfants par rapport Abû Hanîfah". Il fut un Imâm plein de scrupule, un emblème de la piété, un noble savant au cœur plein de crainte de Dieu, comme en témoignent tous les livres de biographies islamiques. Nous retiendrons enfin ce mot synthétique et ô combien pertinent de l’ascète, le dévot, Al-Qâdî `Iyâd : "Abû Hanîfah fut un juriste, connu en jurisprudence, célèbre pour son scrupule, aisé, bienfaisant envers autrui, patient dans l’enseignement de la science de jour comme de nuit, il observait souvent le silence, parlait peu, jusqu’à ce qu’une question traitant du licite ou de l’illicite survienne...". L’Imâm Abû Hanîfah remplit la terre de science dans sa vie bénie et retourna à Dieu le 11 Jumâdah Al-Ûlâ 150 A.H., soit le 14/06/767.

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Tombe de l’Imâm Abû Hanîfah

Qu’Allâh déverse Sa Miséricorde sur sa tombe, sur celles des Imâms Mâlik, Ash-Shâfi`î et Ahmad Ibn Hanbal, ainsi que leurs semblables et tous les musulmans.

L’Imâm Ahmad Ibn Hanbal

Fondateur de la quatrième école de jurisprudence sunnite, l’Imâm Ahmad fut l’un des Imâms de la guidance des tous premiers siècles de l’hégire. Une référence pour ses contemporains et un modèle vivant d’attachement à la Sunnah et de pratique droite et sincère. Son cercle de savoir était une source de guidance et de lumière et l’ultime abri des raisons saines pendant les épreuves.

Sa naissance et son enfance

Ahmad Ibn Hanbal [1] naquit à Bagdad, dans l’une des maisons nobles des Banû Shaybân, au cours du mois de Rabî` Al-Awwal de l’an 164 A.H. — en novembre 780 E.C. —. Orphelin de père, dès avant sa naissance, il fut élevé par sa mère qui veilla à lui donner la meilleure éducation et à lui enseigner les savoirs primordiaux en ces temps. Il mémorisa le Noble Cora avant de se lancer avec avidité dans l’apprentissage du Hadîth. Au petit matin, il se dépêchait de se rendre auprès de son maître pour être le premier de ses étudiants à se rendre aux études. Lorsqu’il sortit de la petite enfance, il rejoignit le cercle de l’Imâm Abû Yûsuf — le brillant disciple de l’Imâm Abû Hanîfah et le premier homme à exercer la fonction de Grand Juge (dî Al-Qudâh) — où se retrouvaient pêle-mêle étudiants, savants et magistrats. Il passa quatre ans dans le cercle d’Abû Yûsuf durant lesquels il prit en note tout ce qu’il entendait, soit l’équivalent de quatre malles d’écrits. Il assita également au cercle du Maître des Savants du Hadîth à Bagdad, Hushaym Ibn Bashîr As-Sulamî. Dès qu’un savant séjournait à Bagdad, il veillait à prendre contact avec lui et à se former auprès de lui. Il se forma ainsi auprès de Nu`aym Ibn Hammâd, `Abd Ar-Rahmân Ibn Mahdî et `Umayr Ibn `Abd Allâh Ibn Khâlid.

La quête du savoir

Vu qu’en ces temps les grands savants étaient dispersés dans l’ensemble du monde musulman et qu’aucune région n’avait le monopole du savoir, il n’était pas rare que les étudiants désireux de se former aux sciences islamiques aient à faire de longs voyages pour recueillir le savoir de la bouche de ses maîtres les plus réputés.

Âgé de douze ans, Ahmad Ibn Hanbal entama sa quête du savoir vers l’an 186 A.H., circa 802 E.C. Il se rendit à Basorah, à Koufah, à Ar-Ruqah, au Yémen et dans le Hijâz et rencontra de nombreux grands savants et juristes du monde musulman tels que Yahyâ Ibn Sa`îd Al-Qattân, Abû Dâwûd At-Tayâlisî, Wakî` Ibn Al-Jarrâh, Abû Mu`âwiyah Ad-Darîr, Sufyân Ibn `Uyaynah, et Ash-Shâfi`î. Ibn Hanbal suivit longuement ce dernier et se forma auprès de lui à la jurisprudence et ses fondements. L’Imâm Ahmad réservait beaucoup de respect et d’admiration pour l’Imâm Ash-Shâfi`î au point que, pendant quarante années consécutives, il ne passa pas une nuit sans faire des invocations en faveur de son maître. Lorsqu’il narrait le hadîth du Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — selon lequel : « Au début de chaque siècle, Dieu envoie un réformateur qui renouvelle à cette communauté les affaires de leur religion. » [2], il disait : « Dieu — Exalté soit-Il — a envoyé notre maître `Umar Ibn `Abd Al-`Azîz au début du deuxième siècle pour renouveler à cette communauté sa religion, et j’espère qu’Ash-Shâfi`î soit celui envoyé au début du troisième siècle. » De son côté, l’Imâm Ash-Shâfi`î fit l’éloge de son disciple disant : « Je n’ai point vu plus connaisseur du Livre de Dieu que ce jeune homme Qurayshite. » Lorsqu’on interrogea l’Imâm Ash-Shâfi`î sur la raison qui le poussait à recevoir et à rendre visite fréquemment à l’Imâm Ahmad, il répondit par ces vers de poésie :

Qâlû yazûruka Ahmadu wa tazûruhû *** qult ul-fadâ’ilu lâ tubârihu manziluhû
in zâranî fa bi-fadlihî aw zurtuhû fa li-fadlihi *** fal-fadlu fil-hâlayni lahû

Traduction :

Ils dirent : “Ahmad te rend visite et tu lui rends visite.” *** Je répondis : “Les vertus ne quittent point sa demeure.”
S’il me rend visite, le mérite est sien et, si je lui rends visite, c’est pour son mérite. *** Dans les deux cas, le mérite est sien.

Ainsi voit-on un bel exemple de respect mutuel entre les savants et combien cela contraste avec le comportement des gens sectaires qui, pour grandir leur maître, se croient obligés de dénigrer les autres savants.

L’attachement de l’Imâm Ahmad à la science était tel qu’aucun obstacle ne pouvait l’en empêcher. Tout savant qu’il était, reconnu et loué par ses maîtres et par ses pairs pour ses compétences et sa maîtrise, il n’hésitait pas à saisir sa plume et à s’asseoir en tant que disciple écoutant et consignant humblement les enseignements prodigués par autrui. Ses contemporains objectaient : « Abû `Abd Allâh, tu as atteint un rang élevé, tu es l’Imâm des musulmans. » Il répondait : « Ma plume m’accompagnera toujours, jusqu’à la tombe ! »

Un jour, il quitta l’Irak en compagnie de Yahyâ Ibn Ma`în dans l’intention de s’instruire auprès du grand savant du Hadîth, `Abd Ar-Razzâq Ibn Al-Humâm le Yéménite, l’auteur du recueil de hadîths intitulé Musannaf `Abd Ar-Razzâq. Arrivés à la Mecque, pendant qu’ils effectuaient quelques circumambulations autour de la Maison Sacrée, ils aperçurent `Abd Ar-Razzâq. Yahyâ Ibn Ma`în suggéra à son compagnon de profiter de sa présence à la Mecque pour s’instruire auprès de lui. Ahmad refusa arguant qu’il était parti avec l’intention de rencontrer le savant yéménite chez lui pour en recueillir une rétribution complète et qu’il n’avait aucune envie de frelater cette intention. Pendant qu’il était au Yémen, `Abd Ar-Razzâq voulut lui faire don de quelque argent pour l’aider à subvenir à ses frais de séjour à l’étranger. Mais l’Imâm Ahmad déclina son offre, préférant gagner sa vie en tant que copiste.

Par ailleurs, il se donna beaucoup de mal pour rejoindre `Abd Allâh Ibn Al-Mubârak qu’il dut suivre à la trace de pays en pays pendant longtemps. Une fois en sa compagnie, il puisa dans sa science en matière de Hadîth et d’Éthique. Ce dernier lui enseigna notamment l’ascétisme véritable. Il distribuait des gâteaux alors qu’il ne mangeait en majorité que du pain. Lorsqu’il avait envie de quelque mets délicieux, il invitait toujours quelqu’un à sa table car, disait-il, la nourriture mangée en compagnie d’invités est exemptée de tout compte-rendu. On lui dit un jour que sa fortune s’était amenuisée et qu’il fallait qu’il soit moins généreux, il répondit que, de toute façon, il ne lui restait plus longtemps à vivre. Tout comme `Abd Ar-Razzâq le Yéménite, il voulut faire don d’une somme d’argent à l’Imâm Ahmad, mais ce dernier déclina rappelant qu’il lui tenait compagnie pour son savoir et non pour son argent.

L’enseignement et la fatwa

En 204 A.H. — 819 E.C. —, l’Imâm Ahmad Ibn Hanbal se consacra à l’enseignement et à la fatwa à Bagdad. Jusque-là il s’était refusé à la fatwa en attendant d’atteindre l’âge de quarante ans et ce, pour diverses raisons :

  1. Il voulut suivre l’exemple du Prophète, repris par `Abd Allâh Ibn `Umar — que Dieu l’agrée — [3].
  2. Il tenait les assemblées de fiqh et de fatwa en grande estime, considérant qu’elles étaient les lieux de l’héritage prophétique.
  3. Il s’interdisait d’exercer cette activité du vivant de son Sheikh et Maître l’Imâm Ash-Shâfi`î.

Il tenait deux cercles d’enseignement, l’un chez lui auquel assistaient ses disciples les plus brillants et un autre, public, se tenait à la mosquée après la prière d’al-`asr et rassemblait des centaines de gens et d’étudiants. Il était très heureux de voir des gens écrire le Hadîth dans son assemblée et qualifiait leurs encriers de luminaires de l’islam. Il ne citait jamais un hadith de mémoire, mais le lisait à partir de ses écrits, par souci de fidélité, alors qu’il était passé pour une légende pour sa bonne mémoire et l’exactitude de sa restitution.

Il eut nombre de disciples brillants comme Abû Bakr Al-Marwazî — son disciple préféré pour sa science et son scrupule —, Abû Bakr Al-Athram, Ishâq Ibn Mansûr At-Tamîmî, Ibrâhîm Ibn Ishâq Al-Harbî, Al-Bukhârî, Muslim, Abû Dâwûd et Baqiyy Ibn Mukhallad.

Son école juridique

L’Imâm Ahmad ne consigna pas lui-même son école juridique, ni ne rédigea le moindre traité de jurisprudence. Il ne dicta pas non plus les verdicts de son école à ses disciples et détestait qu’on consignât ses opinions et ses fatwas. On doit la compilation de la jurisprudence hanbalite à Abû Bakr Al-Khallâl (décédé en 311 A.H., 923 E.C.), le disciple d’Abû Bakr Al-Marwazî. Celui-ci parcourut les contrées à la recherche des verdicts rendus par l’Imâm Ahmad et réussit à en recueillir un nombre sans précédent qu’il classifia dans son ouvrage en vingt volumes intitulé Al-Jâmi` Al-Kabîr (« Le grand recueil »). Ensuite, il se consacra à enseigner la jurisprudence de l’Imâm Ahmad dans la Mosquée d’Al-Mahdî à Bagdad. L’école juridique de l’Imâm Ahmad venait ainsi de naître et était passée d’une somme éparse d’opinions transmises oralement à un corpus écrit.

Puis, Abû Al-Qâsim Al-Khiraqî (décédé en 334 A.H., 946 E.C.) se chargea de faire une synthèse de la compilation réalisée par Abû Bakr Al-Khallâl qu’on connaît sous le titre de Mukhtasar Al-Khiraqî (« L’abrégé d’Al-Khiraqî »). Son ouvrage connut beaucoup de succès, si bien qu’on lui connaît près de trois cents commentaires et explications dont notamment Al-Mughnî d’Ibn Qudâmah Al-Maqdisî (décédé en 620 A.H., 1233 E.C.). Non seulement Ibn Qudâmah commenta l’ouvrage, mais il se chargea également de relever les différentes opinions existant au sein de l’école tout en fournissant les arguments des différents partis et en arbitrant entre eux, le tout dans un style remarquablement fluide et précis.

Ensuite, Ibn Taymiyah l’Aïeul (Ibn Taymiyah Al-Jadd), alias `Abd As-Salâm Ibn `Abd Allâh — décédé en 652 A.H., 1254 E.C. —, fit une classification des questions juridiques de l’école hanbalite dans son ouvrage Al-Muharrar. Après cela, la littérature hanbalite se multiplia et se démocratisa.

Il convient de noter à ce titre que l’école juridique hanbalite est l’école la plus souple en ce qui concerne les contrats et les critères que doivent remplir les contractants. Car aux yeux de l’Imâm Ahmad les transactions sont licites originellement aussi longtemps qu’aucune preuve légale ne les interdit. D’où l’adéquation du rite hanbalite et sa souplesse dans le domaine des transactions.

La grande épreuve

L’Imâm Ahmad vit passer quatre califats successifs de son vivant. D’abord, il y eut le califat d’Al-Ma’mûn, ensuite celui d’Al-Mu`tasim, puis celui d’Al-Wâthiq et enfin celui d’Al-Mutawakkil. En cette période, les Mu`tazilites avaient pris beaucoup d’envergure et jouissaient d’une grande influence dans les cercles du pouvoir, notamment du temps du Calife Al-Ma’mûn. Ce dernier était le disciple de Abû Hudhayl Al-`Allâm, l’un des chefs du mu`tazilisme, si bien qu’il fut subjugué par la philosophie grecque. Profitant de cette relation privilégiée, le Mu`tazilite sectaire Ahmad Ibn Abî Dhu’âd ne cessa de se rapprocher du Calife et de l’entretenir tant et si bien que ce dernier en fit son ministre et son conseiller. Or, nous avons vu précédemment que l’Imâm Ahmad était éloigné de la philosophie et du mu`tazilisme et attaché à la Sunnah et à la tradition des pieux prédécesseurs.

À cette époque, les Mu’tazilites proclamèrent la thèse de la création du Coran, c’est-à-dire que le Coran est une créature accidentelle et qu’il n’est pas la parole éternelle et ancienne de Dieu, thèse que le Calife Al-Ma’mûn reprit à son compte. En 218 A.H., 833 E.C., le Calife Al-Ma’mûn envoya un décret à son représentant à Bagdad, Ishâq Ibn Ibrâhîm, clarifiant cette thèse et l’étayant — d’après leurs dires — de preuves scientifiques détaillées. On pense cependant que ce décret n’est pas de la composition du Calife Al-Ma’mûn mais émanerait plutôt de son conseiller mu`tazilite. Toujours est-il qu’il fut ordonné à Ishâq de réunir tous les savants de Bagdad et de les convaincre que le Coran était une créature et de démettre de leurs fonctions tous ceux qui s’opposeraient à la doctrine officielle.

Dans un premier temps, Ishâq exécuta l’ordre du Calife de réunir les savants afin de les convaincre et congédia de leurs emplois ceux qui s’y opposaient, puis il envoya au Calife les réponses que ces derniers opposaient à la doctrine de la création du Coran.

Dans son livre intitulé Târikh Al-Jadal (« L’histoire du débat contradictoire »), Sheikh Mohammad Abû Zahrah rapporte longuement les interrogatoires conduits par les inquisiteurs du Calife Al-Ma’mûn, dont voici un extrait :

« Il (L’inquisiteur Ishâq Ibn Ibrâhim) se tourna de nouveau vers Ahmad Ibn Hanbal et lui demanda : “Que dis-tu à propos du Coran ?” Il répondit : “Il est la Parole de Dieu.” Il lui demanda : “Est-il créé ?” Il répondit : “Il est la Parole de Dieu, je n’ai rien d’autre à ajouter.” Alors, il lui demanda de lire la formule exigée par le Calife mais l’Imâm s’arrêta après la phrase “Rien n’est à Sa ressemblance et Il est l’Audient le Clairvoyant” et refusa de dire "Aucune de Ses créatures ne lui ressemble dans quelque qualité que ce soit, de quelque façon que ce soit" (...) Ishâq interrogea Ahmad Ibn Hanbal : “Que signifie ’Il est l’Audient le Clairvoyant’ ?” Il répondit : “Il est Tel qu’Il S’est décrit Lui-Même.” Il demanda de nouveau : “Qu’est-ce que cela signifie ?” Il répondit : “Je ne sais pas, Il est Tel qu’Il S’est décrit Lui-Même.” »

Dans un second temps, le Calife écrivit de nouveau à son représentant à Bagdad lui ordonnant de licencier ceux qui s’opposent à cette thèse, de les arrêter et de les envoyer au Calife sous peine de mort. L’Imâm Ahmad était parmi les savants ayant été arrêtés et envoyés dans leurs chaînes à Tartûs. En route, certains révisèrent leurs opinions sous l’emprise de la peur, d’autres trépassèrent, tandis que l’Imâm Ahmad campa sur sa position malgré les menaces répétées. À quelques heures de leur arrivée à Tartûs, l’Imâm Ahmad s’agenouilla et leva les yeux au ciel disant : « Seigneur, Ta patience a désabusé ce tyran si bien qu’il eut la témérité d’agresser tes saints, les frappant et les tuant. Ô Allâh, si le Coran est Ta Parole incréée, fais-nous jouir de sa protection. » Sur ce, Al-Ma’mûn décéda avant l’arrivée de l’Imâm Ahmad. Ce dernier fut détenu en prison le temps que les affaires de l’État se stabilisent.

Al-Mu`tasim, le frère du défunt Calife, prit le pouvoir et, suivant les ultimes recommandations d’Al-Ma’mûn, rapprocha Ibn Abî Dhu’âd de lui, cet ennemi déclaré de l’Imâm Ahmad. Ainsi l’Imâm Ahmad fut-il enchaîné et emmené dans ses chaînes à Bagdad où il subit de longs interrogatoires en présence du Calife. Incapables de recueillir son adhésion à leur doctrine par quelque moyen que ce soit — ni les promesses d’argent ni le débat contradictoire —, l’Imâm Ahmad fut suspendu par les pieds et flagellé jusqu’à l’évanouissement, sans aucun égard à son savoir ni à son rang. Son calvaire dura deux ans et demi... La colère des juristes commença à gronder à Bagdad, ces derniers campèrent devant la porte d’Al-Mu`tasim demandant la libération de leur maître, l’Imâm Ahmad.

Une fois relâché, ce dernier rentra chez lui soigner ses plaies. Lorsqu’on l’interrogea au sujet du Calife Al-Mu`tasim, il demanda à Dieu de lui faire miséricorde et de lui pardonner, affirmant qu’il aurait honte d’arriver le jour du jugement avec des réparations à réclamer. L’Imâm Ahmad aurait bien pu décrété la mécérance du Calife, du temps d’Al-Ma’mûn et d’Al-Mu`tasim, mais la crainte de Dieu le poussait à dire qu’il est illicite de rentrer en dissension contre le Calife tant que ce dernier était musulman, ce qui correspond à l’opinion adoptée par la majorité des savants musulmans.

Pour éviter les troubles, il fut assigné à domicile à l’époque du Calife Al-Wâthiq, entre 227 et 232 A.H. Il ne sortait de chez lui que pour accomplir les prières. Puis, lorsque le Calife Al-Mutawakkil prit le pouvoir, la doctrine de la création du Coran fut abolie et l’Imâm Ahmad réhabilité. Il put alors poursuivre ses activités d’enseignement et de narration du Hadith dans la mosquée.

Bibliographie

L’Imâm Ahmad légua à la littérature islamique plusieurs ouvrages dont notammant Al-Musnad un immense recueil de hadiths comprenant une sélection de quarante mille hadiths retenus parmi un corpus de sept cent cinquante mille hadiths. En réalité, la genèse du Musnad débuta en même temps que l’initiation de l’Imâm Ahmad aux sciences du Hadîth, alors qu’il était âgé de seize ans. Tout au long de sa vie, il consigna tous les hadîths qu’il apprenait. Puis, sentant son heure approcher, il décida de compulser et de mettre de l’ordre dans sa collection de hadîths. Il dicta ces hadîths aux gens de sa demeure et les mit à contribution dans son œuvre. Il aurait vraisemblablement demandé à son fils `Abd Allâh de poursuivre son travail. Ce dernier classa les hadîths selon le rang des narrateurs, commençant par Abû Bakr, puis `Umar et ainsi de suite. La méthodologie de l’Imâm Ahmad dans la sélection des narrations consistait à exiger l’authenticité lorsqu’il s’agissait de questions du credo (`aqîdah) ou de règlements juridiques. Concernant le domaine des œuvres méritoires, si les narrations étaient confirmées par le Coran ou la Sunnah authentique, l’Imâm tolérait qu’elles soient faibles. Lorsqu’une narration faible était contraire à une autre narration plus consistante, de sorte qu’il n’était pas possible de les concilier, l’Imâm écartait la narration la plus faible. Par exemple, `Abd Allâh Ibn Abî Lahî`ah est cité dans le Musnad en dépit des critiques dont il a fait l’objet par les spécialistes. Non pas qu’il fut accusé de mensonge, mais plutôt parce qu’il narrait les hadîths d’après des livres et des parchemins en sa possession. Un jour, ces supports s’abîmèrent et il dut rapporter les hadiths de mémoire se trompant souvent. Or, les specialistes du Hadîth sont très exigeants dans ce domaine. Néanmoins, les Imâms Ibn Taymiyah et Ibn Al-Qayyim affirmèrent que le Musnad ne comprenait aucune narration controuvée. Certains y comptèrent quatre narrations controuvées, mais qui ne proviennent pas de l’Imâm Ahmad. Enfin, les hadîths faibles que contient le Musnad ne concernent pas les règlements juridiques, et ne sont pas extrêmement faibles non plus.

Parmi ses autres écrits, il y a :

  1. Az-Zuhd
    L’ascétisme

  2. As-Sunnah
    La Sunnah

  3. As-Salâh wa Mâ Yalzamu Fîhâ
    La prière et ses piliers obligatoires

  4. Al-Wara` wal-Îmân
    La piété et la foi

  5. Al-Ashribah
    Les boissons

  6. Al-Masâ’il
    Les questions

  7. Fadâ’il As-Sahâbah
    Les mérites des Compagnons

  8. An-Nâsikh wal-Mansûkh
    L’abrogeant et l’aborgé

  9. Al-`Ilal
    Les défauts

Tous ces ouvrages sont imprimés et se trouvent aisément en langue arabe.

Son décès

Âgé de soixante-dix-sept ans, l’Imâm Ahmad décéda après une vie pleine de services rendus à l’Islam, le 12 Rabî` Ath-Thânî 241 A.H. — le 30 août 855 E.C. — et fut enterré à Bagdad.

L’Imâm Mâlik L’Imâm de Médine

Introduction

L’école malékite est l’une des quatre écoles juridiques [1] les plus répandues dans le monde musulman depuis le deuxième et le troisième siècle hégirien.

Cette école, ou madhhab, doit son nom à l’illustre savant, le grand juriste, l’Imâm de Médine, Mâlik Ibn Anas, que Dieu l’agrée. Celui-ci occupa une place saillante parmi les juristes musulmans, excella dans la ville qui reçut la science et la bénédiction du Prophète, et porta le flambeau des sept célèbres juristes médinois : Abû Bakr Ibn `Abd Ar-Rahmân Ibn Al-Hârith Ibn Hishâm, Qâsim Ibn Muhammad Ibn Abî Bakr As-Siddîq, `Urwah Ibn Az-Zubayr Ibn Al-`Awwâm, Sa`îd Ibn Al-Musayyab, Sulaymân Ibn Yasâr, Khârijah Ibn Zayd et `Ubayd Allâh Ibn `Abd Allâh Ibn `Utbah Ibn Mas`ûd.

L’époque de l’Imâm Mâlik

L’Imâm Mâlik naquit à la fin du premier siècle hégirien et son âme retourna à Dieu environ vingt ans avant la fin du deuxième siècle. La première moitié de sa vie s’écoula sous le Califat des Omeyyades, alors que la seconde témoigna des premiers épisodes du Califat abbasside.

Il vécut ainsi à une période mouvementée de l’Histoire islamique où émergèrent de nombreux courants de pensée religieux et politiques. Sous les Omeyyades, le Califat islamique bien-guidé fut transformé en un système monarchique. Cela généra discordes, conflits et instabilité, d’autant plus que le nouveau système instauré fut teinté d’un "nationalisme arabe". Dans ce contexte, les non-arabes subirent des injustices et les descendants du noble Prophète - paix et bénédiction de Dieu sur lui - connurent de dures épreuves sanglantes et de regrettables oppressions.

En 132 A.H., après avoir démantelé les structures du pouvoir omeyyade, le Califat des Abbassides vit le jour. Le conflit s’attisa alors entre les Abbassides et les Alawites, malgré les liens de parenté qui les liaient... Comme pour réagir au nationalisme arabe qui avait émergé sous les Omeyyades, divers nationalismes non-arabes se développèrent sous les Abbassides. C’est alors que les courants de pensée se multiplièrent, divers groupes religieux montèrent sur scène et l’ouverture sur la philosophie grecque, les pensées persanes ou indiennes s’élargit par le biais de diverses traductions.

Les frontières du monde islamique s’étaient largement étendues à cette époque, la vie matérielle voyait son cercle s’étendre et la nécessité d’apporter des réponses religieuses à des questions originales se faisait croissante, compte tenu de la diversité des peuples ayant embrassé l’islam.

Les opinions juridiques se multiplièrent et deux principales écoles ou méthodologies se dégagèrent.

La première méthodologie, celle des Gens du Hadîth, prônait l’application stricte et rigoureuse du Coran et de la Sunnah, mettant l’accent sur la lettre et la narration. Cette Ecole eut de nombreux adeptes et trouva une terre fertile dans le Hijâz en général, et à Médine en particulier. En effet, cette méthodologie était en harmonie avec la vie à Médine, la ville du Prophète : une ville fortement attachée aux enseignements du Prophète et ayant préservé sa simplicité et son climat sain. Médine se dressa longtemps comme un rempart devant les idéologies sociales et politiques étrangères issues des nombreuses conquêtes islamiques et du contact avec de nouveaux peuples et de nouvelles cultures.

La deuxième méthodologie, l’Ecole de l’Opinion, plus interprétative que la précédente, prônait également l’attachement, le respect et l’application du Coran et de la Sunnah, mais mettait davantage l’accent sur le rôle de l’intellect dans l’appréhension et l’interprétation des énoncés ainsi que dans la déduction des jugements légaux selon les règles de cette discipline. Cette école s’était fortement répandue en Irak qui était, à cette époque, le foyer scientifique musulman le plus actif. L’Irak était fort d’une histoire scientifique riche ; le recours à la recherche et à l’analyse rationnelle était devenu familier dans l’environnement irakien, confronté à diverses cultures, notamment la culture persane où foisonnaient les idéologies et les philosophies.

L’Imâm Mâlik naquit et vécut à Médine. Il fut ainsi influencé par la vie et l’esprit de cette honorable ville. Il naquit à l’époque de l’Omeyyade Al-Walîd Ibn `Abd Al-Malik et retourna à Dieu sous le règne de l’Abbasside Hârûn Ar-Rashîd. Ainsi fut-il témoin du Califat omeyyade et du Califat abbasside et des luttes qui les opposèrent. Il fut également témoin des luttes entre les Abbassides et les Alawites, du mouvement des Khârijites, et des polémiques ayant opposé les Sunnites aux Shî`ites.

Généalogie et naissance de l’Imâm Mâlik

Il s’agit de l’un des quatre pôles de la jurisprudence islamique, Mâlik Ibn Anas Ibn Mâlik Ibn Abî `Âmir Ibn `Amr Ibn Ghaymân Ibn Khathîl Ibn `Amr Ibn Al-Hârith.

Son arrière grand-père, Abû `Âmir Ibn `Amr, fut un Compagnon du Messager de Dieu - paix et bénédiction de Dieu sur lui. Il participa à toutes les batailles du temps du Messager de Dieu, exception faite de la grande bataille de Badr.

Son grand-père, Mâlik Ibn Abî `Âmir, fut un grand Successeur qui rapporta des hadiths sur l’autorité du Commandeur des Croyants `Umar Ibn Al-Khattâb, de Talhah, de la Mère des Croyants `Â’ishah, de Abû Hurayrah et de Hassân Ibn Thâbit, que Dieu les agrée tous. Il fut l’un des quatre hommes ayant porté le Commandeur des Croyants `Uthmân Ibn `Affân, que Dieu l’agrée, à sa tombe. Il fut l’un des scribes qui inscrivirent le Coran lorsque `Uthmân réunit les codex du Coran. On rapporte en outre que le « Cinquième Calife bien-guidé », `Umar Ibn Abd Al-`Azîz, lui demandait conseil.

Quant au père de Mâlik, Anas, l’histoire ne nous apprend que peu de choses sur lui. Nous savons toutefois qu’il vécut à Dhû Al-Marwah, une oasis dans le désert au nord de Médine, et qu’il gagnait sa vie en fabriquant des arcs. Selon l’opinion la plus solide, sa mère s’appelait Al-Ghâliyah Bint Shurayk Al-Azdiyyah.

L’Imâm Mâlik naquit en 93 A.H., à Dhû Al-Marwah. Il vécut ensuite à Al-`Aqîq, une vallée dans les alentours de Médine, puis s’installa à Médine, la ville où repose le Messager bien-aimé - paix et bénédictions de Dieu sur lui.

Enfance et apprentissage des sciences islamiques

Dans son enfance, l’Imâm Mâlik mémorisa le Noble Coran, puis apprit les hadiths prophétiques et les verdicts religieux (fatâwâ) des Compagnons. Il étudia la jurisprudence de l’Ecole de l’Opinion et s’initia à la réfutation des courants déviants. Il se montra brillant dans l’acquisition des sciences islamiques et se distingua par son excellente mémoire.

Sa mère lui recommanda dans son enfance de se faire le disciple du Successeur, le Hâfidh Abû `Uthmân Rabî`ah Ibn Abî `Abd Ar-Rahmân Al-Qurashî, pour puiser dans son savoir. Rabî`ah, que Dieu l’agrée, était surnommé "Rabî`at Ar-Ra’y" pour sa rigueur et son intelligence dans l’interprétation et le raisonnement par analogie. Les savants sont unanimes quant à son éminence en matière de science et de jurisprudence. Yahyâ Ibn Sa`îd dit de lui : "Je n’ai vu plus sensé que Rabî`ah." Le jeune Mâlik apprit la jurisprudence interprétative de l’Ecole de l’Opinion auprès de Rabî`ah et, plus tard, lorsque Rabî`ah décéda, Mâlik prononça ces mots nostalgiques : "La saveur de la jurisprudence disparut depuis la mort de Rabî`ah."

L’étape suivante de l’apprentissage de l’Imâm Mâlik fut marquée par son initiation auprès d’un grand nombre de Sheikhs. Selon l’Imâm An-Nawawî, il eut 900 maîtres dont 300 Successeurs, les autres étant des Successeurs de Successeurs. L’Imâm `Abd Ar-Rahmân Ibn Hurmuz Al-A`raj figurait parmi ses maîtres les plus distingués. Mais parmi ses Sheikhs, nous pouvons également citer Nâfi`, le noble Successeur affranchi de `Abd Allâh Ibn `Umar, le grand Imâm Ja`far Ibn Muhammad Al-Bâqir, le juriste et savant-mémorisateur Yahyâ Ibn Sa`îd Al-Ansârî le Juge de Médine, et le prédicateur aux exhortations vibrantes, Salamah Ibn Dînâr Abû Hâzim As-Sûfî.

Mâlik enseignant

L’excellence de l’Imâm Mâlik lui permit d’enseigner et de diffuser la science dès sa jeunesse. On dit même qu’il commença à enseigner à l’âge de dix sept ans. Il choisit la Mosquée du Prophète pour tenir son cercle de science. Plus précisément, il choisit, dans la Mosquée de Médine, l’endroit où se tenait le Calife Juste `Umar Ibn Al-Khattâb. C’est là que s’asseyait le Messager de Dieu - paix et bénédictions de Dieu sur lui. Les cours de l’Imâm Mâlik ne furent transférés chez lui que plus tard, à cause de sa maladie.

La profusion de sa science attira une foule très nombreuse, sa renommée s’étendit et il occupa une place distinguée dans le cœur des habitants de Médine.

En matière de jurisprudence, Mâlik puisait dans le Noble Coran, exigeant que l’exégète ait une excellente maîtrise de la langue arabe. Puis il s’appuyait sur le Hadîth et la Sunnah, avec une grande minutie dans l’authentification des narrations. Il considérait la pratique des gens de Médine comme un argument législatif.

Ce noble savant prolongeait la réflexion et la méditation avant d’émettre une fatwâ ou un avis juridique. Il disait : "Parfois, on me fait part d’une question et je passe toute la nuit à la traiter." Il arrivait qu’une personne vienne le consulter pour une question juridique et reparte avec pout toute réponse de l’Imâm : "Laisse-moi, je dois y réfléchir." La précipitation n’avait aucune place dans ses verdicts. Il en est ainsi pour tous les nobles savants qui pensent en permanence au Jour où ils comparaîtront devant Dieu.

Le scrupule de l’Imâm Mâlik transparaît aussi dans sa parole : "La chose la plus éprouvante pour moi c’est d’être interrogé sur une question du licite ou de l’illicte, car il s’agit de trancher dans la religion." C’est ainsi que l’Imâm Mâlik passa des années sans avancer une opinion sur certaines questions complexes et ambiguës. Il dit : "Voilà une dizaine d’années que je réfléchis à une question, sans arrêter une opinion."

Plus encore, quand l’Imâm était questionné sur une chose qu’il ne savait pas, il répondait sobrement : "Je ne sais pas." Lorsqu’une personne insistait en lui disant : "Je suis venu jursqu’à toi de mon lointain pays pour te poser cette question et voici que tu me réponds que tu ne sais pas, toi le grand Imâm de Médine. Que vais-je dire aux miens ?" Et l’Imâm, imperturbable, de répondre : "Dis-leur que Mâlik ne sait pas."

Famille de l’Imâm Mâlik

La femme que choisit l’Imâm pour l’accompagner dans sa vie n’était pas une femme libre. Il épousa une esclave. On rapporte que l’Imâm Mâlik avait beaucoup d’estime pour son épouse et eut d’elle trois fils - Muhammad, Hammâd et Yahyâ - et une fille, Fâtimah, appelée Umm Al-Banîn. Umm Al-Banîn connaissait l’ouvrage de son père, Al-Muwattâ’, par coeur et avait une connaissance des sciences islamiques supérieures à celle de ses frères. Lorsqu’un élève de Mâlik lisait un passage d’Al-Muwatta’ dans son cercle d’enseignement, Fâtimah se tenait derrière la porte et signalait chaque erreur de lecture en frappant à la porte. Entendant cela, Mâlik demandait au lecteur de reprendre le passage où il s’était trompé.

Quelques principes de l’école malékite

La source première sur laquelle s’appuyait l’Imâm Mâlik dans sa jurisprudence fut le Noble Coran. C’est dans les versets de la Sage Révélation qu’il cherchait les jugements légaux et les preuves juridiques. Il estimait que toute personne qui se penchait sur l’interprétation des versets coraniques devait absolument avoir une grande maîtrise de la langue arabe, la langue de la révélation. "Si on m’amène un homme qui interprète le Coran sans être savant en langue arabe, je le punirai très certainement", disait-il. Par ailleurs, il ne tenait pas compte des israélismes [2] en matière d’exégèse.

Mais la maîtrise de la langue, outil indispensable pour l’exégète, ne suffit pas à elle seule pour puiser les jugements divins dans le Noble Coran. La Tradition du Prophète - paix et bénédiction de Dieu sur lui - illustre les versets, les expose, les explique et en revèle le sens. C’est pourquoi l’Imâm Mâlik voyait en la Sunnah la deuxième source fondamentale de la Législation islamique, conformément à la Parole de Dieu :

"Prenez ce que le Messager vous octroie ; et ce qu’il vous interdit, abstenez-vous en." [3]

"Quiconque obéit au Prophète, obéit à Dieu" [4]

"[...] Et vers toi, Nous avons fait descendre le Coran, pour que tu exposes clairement aux gens ce qu’on a fait descendre pour eux et afin qu’ils réfléchissent" [5]

"Non !... Par ton Seigneur ! Ils ne seront pas croyants aussi longtemps qu’ils ne t’auront demandé de juger de leurs disputes et qu’ils n’auront éprouvé nulle angoisse pour ce que tu auras décidé, et qu’ils se soumettent complètement [à ta sentence]" [6]

En outre, les verdicts religieux et les jugements juridiques émis par les Compagnons du Prophète - paix et bénédictions de Dieu sur lui -, occupaient une place importante dans la jurisprudence de l’Imâm Mâlik. Il pensait en effet que la pratique des Compagnons doit être annexée à la Sunnah. Aussi n’est-il pas étonnant de constater que le Muwatta’ de Mâlik compile, à côté des hadîths prophétiques, des verdicts des Compagnons. Il rapporta, par exemple, selon `Abd Allâh Ibn `Umar, qu’un homme vint le voir et dit : "Ô Abû `Abd `Ar-Rahmân, j’ai accordé un emprunt à un homme et j’ai exigé qu’il me le retourne par une chose de plus grande valeur". Ibn `Umar répondit : "Telle est l’usure (Ribâ)".

Lorsque l’Imâm Mâlik manifesta un tel attachement à la Sunnah du Prophète et à la guidance des Compagnons, il devint l’Imâm de la Sunnah à son époque et occupa une place très distinguée parmi les savants de l’Islam.

Il voyait dans le jugement légal émis par un compagnon une preuve solide et une branche de la Sunnah. En effet, soit le compagnon a appliqué un jugement qu’il tient du Messager de Dieu, soit la situation se prêtait à l’ijtihâd, et l’ijtihâd du compagnon découle de l’aiguisement de son sens juridique grâce à l’éducation prophétique qu’il a reçue.

Par ailleurs, il prenait en considération les opinions de certains Successeurs lorsqu’il s’assurait de leur science, de leur maîtrise de la jurisprudence et de leur éthique. Parmi ceux-là, citons `Umar Ibn `Abd Al-`Azîz, Sa`îd Ibn Al-Musayyab, Ibn Shihâb Az-Zuhrî et Nâfi` l’affranchi de `Abd Allâh Ibn `Umar.

Le consensus juridique, Ijmâ`, est une autre preuve législative considérée par Mâlik. On entend par consensus juridique l’accord des juristes et des savants musulmans sur une question donnée. A plusieurs occasions, l’Imâm Mâlik introduisait un jugement juridique par : "L’opinion qui fait l’objet d’un consensus chez nous". Il entendait par cela : "la chose sur laquelle s’accordent les juristes et les gens de science, sans divergence".

Il semblerait que l’Imâm Mâlik entende par "les juristes et les gens de science", les savants et les juristes de Médine. Lorsqu’il dit "L’opinion qui fait l’objet d’un consensus chez nous", il renverrait ainsi à l’opinion qui fait l’unanimité à Médine. C’est pour cette raison que certains savants affirment que le consensus juridique chez Mâlik, c’est la pratique des gens de Médine. La religion, ses fondements et ses branches, furent transmis et appliqués à Médine de génération en génération, depuis le temps des Compagnons. Ainsi, la pratique des savants et juristes médinois reflète avec fidélité ce qui fut transmis par les pieux prédécesseurs. C’est pour cette raison, que l’Imâm Mâlik préférait le consensus des gens de Médine aux hadîths dits ahâd.

L’analogie juridique (Qiyâs), la préférence juridique (Istihsân) et la présomption de continuité (Istishâb) constituent également des preuves juridiques pour l’Imâm Mâlik.

Le raisonnement par analogie (Qiyâs) consiste à appliquer pour un cas juridique non tranché par les sources législatives primaires le jugement prévu dans la législation pour un autre cas juridique, sachant que, au fond, la raison juridique qui motive le jugement dans le premier cas s’avère présente dans le second [7].

La préférence juridique istihsân peut se produire dans deux cas de figures. Le premier, c’est lorsque le mujtahid délaisse le recours à un raisonnement par analogie explicite au profit d’un raisonnement par analogie implicite. Le second cas de figure se présente lorsque le mujtahid favorise, pour un motif donné, un jugement exceptionnel par rapport à un jugement convenu. Si, par exemple, le dévoilement de la `awrah est illicite, une exception sera faite à ce jugement pour des raisons médicales où le patient devrait exposer des membres de sa `awrah au médecin. Dans ce cas de nécessité médicale, la préférence est donnée au jugement exceptionnel.

Enfin, l’Istishâb stipule que le jugement légal relatif à une chose est conforme à son état dans le passé, aussi longtemps que rien ne prouve que cet état a changé, et que le jugement établi dans le passé est valide dans le présent, jusqu’à ce qu’une preuve motivant un changement soit avancée.

Mâlik prenait aussi en considération la réalisation de l’intérêt public (Al-Masâlih Al-Mursalah) et l’obstruction aux prétextes (Sadd Adh-Dharâ’i`) [8].

Par ailleurs, l’Imâm Mâlik prenait en compte l’usage (`Urf) et la coutume (`Âdah). Il s’agit de conventions relatives aux paroles, aux actes ou aux abstentions, répandues parmi les gens et consacrées par l’usage. Le recours à l’usage peut être fait par le savant à condition qu’il n’y ait pas de texte dans le Coran ou la Sunnah tranchant la question et que cela n’entraîne pas de mal ou de nuisance.

Ce tour d’horizon rapide témoigne de la richesse des mécanismes juridiques de l’école malékite. Il convient de noter que la plupart de ces sources législatives sont également considérées dans les autres écoles juridiques sunnites.

Elèves de l’Imâm Mâlik

Si les maîtres de l’Imâm Mâlik furent très nombreux, il en fut de même pour ses élèves. Ce contact privilégié avec l’Imâm Mâlik fut sans doute favorisé par sa présence à Médine, lieu de passage par excellence des pélerins venus prier dans la mosquée du Prophète Muhammad et le saluer dans sa tombe illuminée. Pendant leurs séjours, de durées variables, les étudiants et les savants parmi les pélerins, faisaient connaissance avec les savants de Médine et fréquentaient leurs cercles d’enseignement. La prééminence de l’Imâm Mâlik à Médine fit de lui une référence incontournable pour tout savant ou étudiant vivant à Médine ou y séjournant provisoirement. Par ailleurs, la longue vie que Dieu accorda à Mâlik explique aussi le nombre conséquent de ses élèves. La plupart des Imâms dont l’étoile brilla du vivant de l’Imâm Mâlik étaient ses élèves, originaires de diverses contrées.

Certains de ses maîtres parmi les Successeurs rapportèrent des hadîths de lui. C’est le cas notamment d’Az-Zuhrî, Ayyûb As-Sikhtiyânî, Abû Al-Aswad, Rabî`ah Ibn Abî `Abd Ar-Rahmân, Yahyâ Ibn Sa`îd Al-Ansârî, Mûsâ Ibn `Uqbah et Hishâm Ibn `Urwah.

Certains de ses pairs rapportèrent aussi le hadîth de lui, comme Sufyân Ath-Thawrî, Al-Layth Ibn Sa`d, Sufyân Ibn `Uyaynah, Abû Hanîfah, Abû Yûsuf et de nombreux autres.

Parmi ses élèves citons enfin, le disciple de l’Imâm Abû Hanîfah, Muhammad Ibn Al-Hasan Ash-Shaybânî, et l’Imâm Ash-Shâfi`î.

L’épreuve de la prison

L’Imâm Mâlik vécut sous le Califat des Omeyyades, puis celui des Abbassides. Les historiens rapportent qu’il fut flagellé, châtié et humilié sous le Califat de Abû Ja`far Al-Mansûr, et avancent pour cela différentes raisons.

Selon une opinion, l’Imâm Mâlik enseignait un hadîth établissant qu’un serment prêté sous la contrainte est nul. Al-Mansûr n’aimait pas que ce hadîth soit diffusé, de peur que ses adversaires en profitent pour se débarasser de l’allégeance forcée qu’ils lui avaient prêtée. Il aurait ordonné à l’Imâm Mâlik de ne pas enseigner ce hadîth et le refus de Mâlik aurait entraîné le châtiment qu’il a subi.

Selon une autre opinion, similaire à la précédente, des gens auraient demandé à l’Imâm Mâlik s’il était licite de s’allier à Muhammad Ibn Abî `Abd Allâh Al-Hasan pour se révolter contre les Abbassides, malgré l’allégeance qu’ils avaient prêtée à Abû Ja`far Al-Mansûr... On rapporte qu’il expliqua que cette allégeance fut scellée de façon forcée et que celle-ci était, par conséquent, non avenue. Il leur aurait même recommandé de s’empresser de soutenir Muhammad Ibn Abî `Abd Allâh Al-Hasan... La nouvelle serait parvenue à Al-Mansûr qui fit venir Mâlik, en 147 A.H., et lui infligea l’épreuve du fouet au point que son épaule se déboita.

Selon une autre opinion encore, la raison de cette humiliation, c’est que Mâlik avait donné la prééminence à notre maître `Othmân Ibn `Affân par rapport à notre maître `Alî Ibn Abî Tâlib, que Dieu les agrée tous deux.

Mais l’opinion la plus connue et la plus correcte à ce sujet, c’est que l’Imâm Mâlik enseignait le hadîth établissant que le serment prêté sous la contrainte est nul. Mais il parvint à Ja`far, gouverneur de Médine et cousin du Calife Al-Mansûr, que l’Imâm Mâlik annulait l’allégeance qu’ils reçurent des gens. Certains proches de Ja`far lui recommandèrent d’agir avec prudence car l’Imâm Mâlik jouissait d’un rang élevé auprès du Calife. Ja`far envoya des gens demander à l’Imâm le jugement légal relatif au serment forcé, puis les prit pour témoins, fit venir Mâlik et ordonna qu’il reçoive soixante-dix coups de fouet. La nouvelle se propagea à Médine comme le feu dans la paille et bientôt la ville allait entrer en ébullition sous la colère des Médinois indignés.

L’incident parvint rapidement au Calife, qui exprima à son tour son indignation et affirma ne pas être au courant de cela. Il démit son cousin de son poste de gouverneur et le fit venir de Médine à Bagdad à dos de chameau. En outre, il demanda à l’Imâm Mâlik de bien vouloir venir à Bagdad, mais le juriste de Médine déclina cette demande. Le Calife envoya alors une lettre à Mâlik l’informant qu’il souhaiterait le voir à la prochaine saison de pélerinage. L’Imâm rencontra ainsi le Calife à Minâ. Al-Mansûr le voyant quitta l’endroit où il était assis, s’installa sur un tapis par terre et ne cessa de demander à l’Imâm de s’approcher de lui, jusqu’au point où leurs genoux se touchèrent, pour ainsi manifester son affection pour le juriste médinois. Puis le Calife jura qu’il n’avait guère ordonné ce qui fut, qu’il n’était même pas au courant, et raconta son énorme indignation quand cette fâcheuse nouvelle agressa son ouïe. Il s’excusa auprès de l’Imâm Mâlik et l’informa qu’il avait ordonné que Ja`far soit châtié et humilié. Mais l’Imâm Mâlik loua Dieu, salua son Prophète et dit au Calife qu’il pardonnait à Ja`far pour son lien de parenté avec le Prophète et son lien de parenté avec le Calife.

Puis la conversation se prolongea entre les deux hommes et le Calife aborda les récits des prédécesseurs et des savants, les sujets consensuels en matière de jurisprudence, et les questions qui font l’objet de divergences entre les juristes, au point que l’Imâm Mâlik attesta de sa culture et de son intelligence.

A cette occasion, le Calife demanda à l’Imâm Mâlik de rédiger un ouvrage, adoptant une voie médiane et consignant ce qui fit l’unanimité des Compagnons et des Imâms parmi les savants. Il promit à l’Imâm Mâlik de diffuser cet écrit dans les pays musulmans afin que les gens s’y tiennent.

Les ouvrages de l’Imâm Mâlik

Le plus célèbre ouvrage composé par l’Imâm de Médine, c’est Al-Muwatta’. Il s’agit d’un ouvrage compilant des éléments de la Sunnah purifiée, ainsi que certaines opinions juridiques émises par les nobles Compagnons, les Successeurs et autres savants parmi les pieux prédécesseurs.

On lui attribue quelques autres ouvrages et épîtres comme :

- Tafsîr Gharîb Al-Qur’ân Al-Karîm (Interprétation des singularités du Noble Coran).

- Kitâb As-Surûr (Le livre de la félicité).

- Une épître traitant de la Fatwâ, une autre traitant d’astrologie, et une troisième apportant une réplique aux Qadariyyah (adhérant à la doctrine de la prédestination et du fatalisme).

L’érudit, l’Imâm Jalâl Ad-Dîn As-Suyûtî cita ces ouvrages et quelques autres dans Tazyîn Al-Mamâlik (L’ornement des royaumes). Toutefois, des doutes subsistent quant à l’authenticité de leur attribution à Mâlik.

Mais le livre le plus précieux que ce juriste laissa à la postérité, c’est Al-Muwatta’. L’attribution de ce livre à son auteur relève de la certitude. On relate que l’apparition de nombreuses sectes et la propagation de leurs croyances poussèrent l’Imâm Mâlik à consigner la science qui lui était parvenue, avant qu’elle ne s’évanouisse de génération en génération ou qu’elle ne soit négligée ou oubliée. On rapporte aussi que ce livre fut rédigé à la demande du Calife Abbasside, Abû Ja`far Al-Mansûr. Le Calife voulait que Mâlik rédige un livre accessible où il adopterait une voie médiane et aisée, entre la rigueur outrancière et la souplesse excessive, dans les positions juridiques adoptées. Cela aurait motivé le titre même de l’ouvrage Al-Muwatta’...

Mâlik rédigea cet ouvrage pendant plus de dix ans et ne cessa de le mettre à jour et de l’enrichir pendant près de quarante ans. Hârûn Ar-Rashîd lui proposa de l’accrocher à la Ka`bah, à la Mecque Honorée, pour témoigner de ses vertus et pousser les gens à s’y conformer. Mais l’Imâm Mâlik déclina cette offre et justifia son refus en ces termes : "Ô Emir des Croyants, quantà accrocher Al-Muwattâ’ à la Ka`bah, [je ne le souhaite pas], car les Compagnons du Messager de Dieu - paix et bénédictions de Dieu sur lui - divergèrent dans les jugements dérivés et se dispèrent dans les pays, et chacun estime avoir raison."

C’est ce respect des divergences argumentées et solides en matière de jurisprudence qui poussa l’Imâm Mâlik à se comporter ainsi. Plus encore, Mâlik vit en ces divergences, basées sur des preuves tangibles, une miséricorde pour les serviteurs de Dieu : "Ô Emir des Croyants, la divergence entre les savants est une miséricorde de Dieu envers cette communauté", dit-il.

Il convient de noter que cet ouvrage n’est pas un reccueil de Hadîth au sens classique du terme. Il s’agit d’un ouvrage de Fiqh où l’Imâm Mâlik souhaita exposer les opinions qui relèvent du consensus dans la jurisprudence médinoise, s’appuyant sur des preuves issues de la Sunnah considérée et appliquée à Médine. C’est dans cette perspective qu’il déclina les questions juridiques.

On rapporte que l’Imâm Ash-Shâfi`î dit : "Il n’y a sur terre de livre de science (islamique) plus correct que le Muwatta’ de Mâlik." L’Imâm An-Nawawî cita cette parole et nota que "Cette opinion d’Ash-Shâfi`î est préalable à la rédaction des deux Sahîh d’Al-Bukhârî et de Muslim."

Quelques ouvrages célèbres de l’école malékite

Nous citons ci-dessous quelques ouvrages et références de l’école malékite :

- Mukhtasar Khalîl de Khalîl Ibn Ishâq Ibn Mûsâ.

- Bidâyat Al-Mujtahid wa Nihâyat Al-Muqtasid de Abû Al-Walîd Ahmad Ibn Muhammad Ibn Rushd (Al-Hafîd).

- Minah Al-Qadîr `alâ Mukhtasar Khalîl de Muhammad Ibn Ahmad Ibn `Arafah Ad-Desûqî.

- Tuhfat Al-Hukkâm de Abû Bakr Muhammad Al-Gharnâtî.

- Al-Furûq de Ahmad Ibn Idrîs Al-Qarâfî.

- Tabsirat Al-Hukkâm de Muhammad Ibn Farhûn Al-Ya`murî.

- Az-Zurqânî `alâ Al-Muwattâ’ de Muhammad Ibn `Abd Al-Bâqî Az-Zurqânî.

- Mawâhib Al-Jalîl fî Sharh Mukhtasar Khalîl de Al-Hattâb Al-Maghribî.

- At-Tâj wa Al-Iklîl li Mukhtasar Ash-Sheikh Khalîl de Muhammad Al-Gharnâtî.

- Al-Musawwâ min Ahâdîth Al-Muwatta’ de Waliyy Ed-Dîn Ad-Dahlâwî.

Décès de l’Imâm

L’Imâm Mâlik tomba malade pendant vingt-deux jours. La nuit de son décès, Abû Bakr Ibn Sulaymân As-Sawwâf vint dans une assemblée lui rendre visite et s’enquérir de son état de santé : "Comment te sens-tu aujourd’hui ?", demanda-t-il au juriste de Médine. Mâlik répondit : "Je ne sais quoi vous dire. Demain, vous verrez du Pardon de Dieu ce que vous n’aviez pas prévu." Peu de temps après, l’Imâm Mâlik rendit son âme bénie.

Il décéda à Médine le 14 Rabî` Al-Awwal 179 A.H., selon l’opinion la plus correcte, et fut enterré au cimetière d’Al-Baqî`. Puisse Dieu l’agréer et nous faire profiter de sa science dans les deux demeures.

L’Imâm Ash-Shâfi`î

Nous présentons succintement le noble Imâm, célèbre sous le nom sir As-Sunnah (celui qui a donné la victoire à la Sunnah), Ash-Shâfi`î, qu’Allâh l’agrée, l’un des quatre pôles de la jurisprudence.

Introduction

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Le deuxième siècle de l’Hégire témoigna de l’apparition de deux grandes écoles de jurisprudence islamique : l’école dite de l’opinion (Madrasat Ar-Ra’y) et celle appelée l’école du Hadîth (Madrasat Al-Hadîth).

La première des deux écoles vit son avènement en Iraq pour prolonger l’approche juridique de notre maître Abd Allâh Ibn Mas`ûd, que Dieu l’agrée, qui a séjourné en ces terres iraqiennes fécondes. Ses disciples ont hérité sa généreuse science et l’ont transmise et propagée. Ibn Mas`ûd fut influencé par la méthodologie de notre maître, Al-Fârûq, `Umar Ibn Al-Khattâb, que Dieu l’agrée, dans la déduction subtile des jugements légaux et le recours à l’opinion dans l’absence d’un texte du Livre de Dieu ou de la Sunnah de notre bien-aimé, le Messager d’Allâh, paix et bénédiction de Dieu sur lui.

Parmi les célèbres disciples d’Ibn Mas`ûd citons `Alqamah Ibn Qays An-Nakha`î, Al-Aswad Ibn Yazîd An-Nakha`î, Masrûq Ibn Al-Ajda` Al-Hamadhânî, Shurayh Al-Qâdî, qui étaient tous parmi les éminents juristes du premier siècle de l’Hégire. Puis, la direction de l’école de l’opinion arriva à Ibrâhîm Ibn Yazîd An-Nakha`î, le grand juriste de l’Iraq qui eut pour disciple et successeur Hammâd Ibn Sulaymân. Hammâd fut un Imâm et un Mujtahid, disposant dans un large cercle de Fiqh et d’un grand nombre d’élèves, dont le célèbre Imâm Abû Hanifah qui lui succéda à la tête de l’enseignement du Fiqh à Kûfâ. Ce noble Imâm eut un grand nombre de disciples fidèles et dévoués qui ont porté sa science et l’ont transmise comme l’Imâm, le juge, Abû Yûsuf, Muhammad Ibn Al-Hasan, Zufar, Al-Hasan Ibn Ziyâd et d’autres encore qui ont renforcé l’édifice de cette école et sa formalisation.

La deuxième école quant à elle, l’école du Hadîth, se développa au Hijâz, héritière d’Ibn `Abbâs, Abd Allâh Ibn `Umar, la Mère des Croyants, la véridique, la fille du véridique, Aïsha et d’autres juristes parmi les compagnons qui ont séjourné à la Mecque ou à Médine. Cette école fut représentée par un grand nombre d’Imâms, comme Sa`îd Ibn Al-Musayyab, `Urwah Ibn Az-Zubayr, Al-Qâsim Ibn Muhammad, Ibn Shihâb Az-Zuhrî, Al-Layth Ibn Sa`d et Mâlik Ibn Anas. Cette école, comme la première, s’attache au Coran et à la Sunnah. Dans l’absence d’un texte puisé dans ces deux sources infaillibles de la législation islamique, les opinions des compagnons et leurs traditions étaient alors prises. Il est vrai que, par rapport aux terres d’Iraq, la société mecquoise et médinoise semble moins exposée à de situations et incidents juridiques nouveaux qui motiveraient un élargissement de la déduction des jugements légaux.

Lorsque notre maître l’Imâm Ash-Shâfi`î entra sur la scène des sciences islamiques, les polémiques avaient déjà éclaté entre les deux écoles. Il prit une position médiane et résorba des polémiques par sa méthodologie qui réunit autant que possible les deux écoles, après avoir été un disciple de grandes figures de l’école du Hadîth comme l’illustre Imâm Mâlik, mais aussi un disciple de Muhammad Ibn Al-Hasan Ash-Shaybânî de l’école de l’opinion.

Sa naissance et sa jeunesse

Dieu a voulu que l’année 150 A.H. soit une année de deuil pour les musulmans qui ont vu partir l’Imâm Abû Hanîfah, répondant à l’appel du Très-Haut après avoir servi le Fiqh et l’islam. Mais, la Sagesse divine a voulu que l’année de la mort d’un grand Imâm de la communauté soit elle-même l’année de naissance du soleil des juristes, le défenseur de la Sunnah, le modèle des savants, l’Imâm prééminent, Abû Abd Allâh Muhammad Ibn Idrîs Ibn Al-`Abbâs Ibn `Uthmân Ibn Shâfi`î, dont la lignée se croise avec celle du Messager d’Allâh au niveau de Abd Manâf.

L’Imâm Ash-Shâfi`î a grandi orphelin. Sa noble mère veilla sur son éducation et le combla dans sa tendresse. Âgé de deux ans, sa mère l’emmena à la Mecque pour qu’il grandisse dans sa famille, comme les autres enfants de sa tribu Qurayshite, dans cette terre sainte où séjournaient un grand nombre de juristes et savants du Hadîth. Il mémorisa le Noble Coran avant l’âge de sept ans et commença à assister aux cercles de science.

Dieu a doté le jeûne Imâm d’une grande soif pour la science et le fit aimer son acquisition. L’Imâm dans son enfance n’avait pas les moyens d’acheter des feuilles pour ses études, il se contenta de faire des inscriptions sur les peaux d’animaux, sur des feuilles de palmier et des os de chameaux. Il fréquenta les cercles de science, apprit le Hadîth et partait dans les tribus du désert pour perfectionner sa prononciation et son éloquence. Il demeura ainsi sept ans chez la tribu de Hudhayl qui était la plus éloquente de toutes les tribus, il apprit leur poésie, s’imprégna de leur éloquence et retourna à la Mecque.

Ses Voyages pour acquérir la science

L’astre de l’Imâm Mâlik a brillé dans le ciel des savants, sa renommée a comblé les horizons et son valeureux recueil de Hadîth Al-Muwatta’ s’est propagé entre les gens. Le jeûne Imâm Ash-Shâfi`î aspira à partir à Médine pour le voir et apprendre de lui. Toutefois, avant de partir à sa rencontre, le jeûne Ash-Shâfi`î décida d’apprendre entièrement Al-Muwatta’. Âgé de treize ans environ, Ash-Shafi`î se présenta à l’Imâm Mâlik et lui exposa son livre Al-Muwatta’ avec une éloquence et une précision qui suscitèrent l’admiration de l’Imâm de Médine, l’Imâm Mâlik.

C’est à cette occasion que l’Imâm Mâlik lui dit : " Dieu Exalté Soit-Il a déversé une lumière sur ton cœur, ne l’éteins pas par le péché. Fais preuve de crainte révérencielle de Dieu et de piété car tu auras un grand avenir ". Depuis, l’Imâm Ash-Shâfi`î accompagna l’Imâm Mâlik jusqu’en 179 A.H. (795 E.C.), année où l’Imâm Mâlik retourna à Dieu. Ainsi, l’Imâm Ash-Shâfi`î étudia auprès de l’Imâm Mâlik pendant environ seize ans. Notons que pendant ce temps, il apprit la science également auprès de Ibrâhîm Ibn Sa`d Al-Ansârî, Abd Al-Azîz Ibn Muhammad Ad-Darawardî, Muhammad Ibn Sa`îd Ibn Abî Fadîk et d’autres.

Après la mort de l’Imâm Mâlik, que Dieu l’agrée, l’Imâm Ash-Shâfi`î occupa le poste de gouverneur de Najrân. Il honora sa fonction et fut juste et bienfaisant envers les gens. Toutefois, quelques malintentionnés jugèrent bon de porter plainte contre lui auprès du Calife Hârûn Ar-Rashîd. Convoqué à la cour du Commandant du Croyant en 184 A.H. (800 E.C.), l’Imâm Ash-Shâfi`î comparu devant Hârûn Ar-Rashîd et prit sa propre défense avec une langue éloquente et une preuve probante. Admirant cela, le Calife décida de le libérer et jugea bon de lui accorder la somme cinquante mille (dinars). Avant de quitter le palais, l’Imâm Ash-Shâfi`î avait entièrement distribué cette somme aux serviteurs et huissiers de Hârûn Ar-Rashîd.

L’Imâm Ash-Shâfi`î demeura à Bagdad, la capitale du Califat, et connut un grand disciple de l’Imâm Abû Hanîfah, Muhammad Ibn Al-Hasan Ash-Shaybânî. L’Imâm Ash-Shâfi`î étudia ses livres et puisa dans sa science pendant certain temps. C’est ainsi que l’Imâm Ash-Shâfi`î hérita la jurisprudence du Hijâz et celle de l’Iraq, la science des gens du Hadîth et celle des gens de l’opinion. Il se dirigea ensuite vers la Mecque et, dans ses lieux saints, il donna ses premiers cours de science. Pendant les saisons de pèlerinage, de grands imâms firent sa connaissance. C’est ainsi que l’Imâm Ahmad Ibn Hanbal le connut et devint son disciple. C’était le début de la naissance de l’école de l’Imâm Ash-Shifi`î, avec une méthodologie qui réunit subtilement la jurisprudence d’Iraq et de Médine, une méthodologie produite par un esprit vif et un cœur intelligent, réunissant la connaissance du Coran et celle du Hadîth, possédant les clefs de l’éloquence et connaissant de près le quotidien des gens et leurs problèmes.

Le voyage à Bagdad

Après un séjour de neuf ans à la Mecque où l’Imâm Ash-Shafi`î établit son approche et renforça sa méthodologie, il se dirigea vers Bagdad où il passa deux ans, entre 195 et 197 A.H. Il y répandit son " ancien madhab " et composa son ouvrage " Ar-Risâlah " (l’Epitre) où il établit la base de la science complexe traitant des Fondements de la Jurisprudence. Il fut entouré de savants venus puiser dans son savoir et acquérir sa méthodologie. Parmi ses fidèles compagnons figurent Ahmad Ibn Hanbal, Abû Thawr, Az-Za`farânî et Al-Karabîsî.

De retour à la Mecque, il y eut un court séjour avant de retourner pour la troisième et la dernière fois à Bagdad en 198 A.H. (813 E.C). Il ne resta pas longtemps dans cette ville où il avait de nombreux disciples répandant sa méthodologie. Il quitta Bagdad pour l’Égypte qui était partagée entre deux tendances principalement : d’une part, un groupe fidèle aux opinions d l’Imâm Mâlik et défendant son école et, d’autre part, des défenseurs de l’école de l’Imâm Abû Hanîfah. Il y avait également les disciples du noble Imâm Al-Laythî dont l’Imâm Ash-Shaf`î a dit qu’il était plus savant en Fiqh que l’Imâm Mâlik. L’Imâm Ash-Shafi`î aurait tant aimé rencontrer l’Imâm Al-Laythî en personne, mais la modestie de sa situation financière lorsqu’il était étudiant l’empêcha de réaliser ce voyage pour l’Égypte.

Séjour en Égypte

L’Imâm Ash-Shâfi`î arriva en Égypte en 199 A.H., mais sa grande renommée l’avait précédé et il fut accueilli par les savants d’Égypte qui connaissait son rang élevé. Il dirigea un cercle de science à la Mosquée de `Amr Ibn Al-`Âs.

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Le peuple égyptien s’attacha à lui et il aima les Egyptiens et apprécia son séjour parmi eux. L’abondance de sa science, la vivacité de son esprit et sa grande éloquence séduirent de nombreux disciples de l’école hanafite et malékite. En Égypte, l’Imâm Ash-Shâfi`î établit la forme définitive de son école. Ainsi, l’Égypte fut le berceau de " Al-Madhab Al-Jadîd " (la Nouvelle Ecole), alors que l’on réfère à l’époque de l’Iraq par " Al-Madhab Al-Qadîm " (l’Ancienne Ecole). En effet, Al-Madhab Al-Jadîd réunit les opinions juridiques et les fatwas de l’Imâm Ash-Shâfi`î qui diffèrent sur des questions d’Ijtihâd par rapport à certaines de ses opinions qu’il avait formulées en Iraq. Il composa en Égypte de précieux ouvrages qui furent propagés et enseignés par ses nombreux disciples.

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Les fondements de son Madhab

Dans son célèbre ouvrage Ar-Risâlah, l’Imâm Ash-Shafi`î a synthétisé les fondements sur lesquels il s’est basé dans sa jurisprudence et les règles qu’il a respectées dans son Ijtihâd. Il appliqua ces fondements de son école juridique ; il s’agit donc de fondements pratiques et non une simple conception théorique. Cela apparaît clairement dans son livre Al-Umm où l’Imâm donne le jugement légal accompagné de la preuve, puis explicite le mécanisme entre le jugement obtenu et l’argument employé, les règles de l’Ijtihâd et les fondements de la déduction qu’il a employés. La méthodologie de l’Imâm consistait, globalement, à puiser dans le Noble Coran et suivre le sens apparent- à moins qu’un argument montre que le sens réel n’est pas le sens apparent- ainsi que dans la Sunnah purifiée. Il acceptait la tradition rapportée par une voie, tant que le narrateur est un homme de confiance, connu pour sa probité et sa véridicité, et reconnu pour sa précision et sa bonne mémorisation.

L’Imâm Ash-Shâfi`î insista sur la vérité qui fait que l’on ne peut faire l’économie de la Sunnah et se contenter du Coran. Il montra que Coran et Sunnah vont de paire et ne peuvent être séparés. Souvent, le Coran présente des jugements générales et des règles globales ; la Sunnah détaille et explicite ses règles, peut spécifier ce qui est général et restreindre ce qui est global. Ash-Shâfi`î a exigé pour accepter le hadîth que sa chaîne soit sans lacune et qu’il soit authentique. Si cette condition est vérifiée, il prend le hadîth, sans exiger la conformité du hadîth avec les actes des médinois - chose que l’Imâm Mâlik a exigée. Le fait que l’Imâm Ash-Shâfi`î accepte le hadîth " mo-narré ", expliquerait peut-être le fait que l’usage du Hadîth soit plus élargi dans l’école chaféite que dans l’école hanafite, car l’Imâm Abû Hanîfah avait des critères d’acceptation différentes. L’Imâm a dépensé sa vie dans la défense de la Sunnah si bien que les savants du Hadîth l’ont appelé sir As-Sunnah (celui qui a donné la victoire à la Sunnah). Après le recours au Coran et la Sunnah, vient la considération du consensus (al-ijmâ`), puis le recours à l’analogie (qiyâs) à condition que celle-ci ait un fondement tiré du Coran et de la Sunnah.

L’inscription du Madhab ou Ecole Juridique

L’Imâm Ash-Shâfi`î, que Dieu purifie son âme, a pu écrire de sa propre main son école juridique. Il consacra son séjour en Égypte à l’enseignement, l’écriture des épîtres et ouvrages et les débats. Nous trouvons les fondements de son école et ses opinions juridiques dans de précieux ouvrages, principalement :

  • Ar-Risâlah fî Usûl Al-Fiqh (l’Epitre dans les fondements de la Jurisprudence).
  • Kitâb al-Umm qui couvre la plupart des chapitres traités en Fiqh. Ce livre est caractérisé par la beauté du style, la précision de l’expression, l’exposition des opinions des savants qui ont divergé avec lui et l’analyse et la discussion de leurs arguments. Ce livre fut publié entièrement, une fois compilé par le juriste égyptien, Sheikh Ahmad Al-Husaynî qui a réuni son manuscrit et l’ édité à sa charge personnelle. Sheikh Ahmad Al-Husaynî rédigea un commentaire en 24 volumes où il explique la section du livre Al-Umm traitant de l’adoration et des œuvres de culte. Il intitula son commentaire, qui est encore sous sa forme manuscrite à Dâr Al-Kutub Al-Misriyyah, Murshid Al-Anâm li Bar’ Umm Al-Imâm qui contient une longue préface recouvrant les classes des juristes chaféites. Sheikh Ahmad Al-Husayni décéda en 1914 E.C.

Les disciples de l’Imâm ont répandu par leurs voyages l’école de leur sheikh. Trois disciples Egyptiens de l’Imâm Ash-Shâfi`î, qui l’ont accompagné avec dévouement, eurent un rôle clef dans la propagation de l’école chaféite sous définitive :

  1. Yûsuf Ibn Yahyâ Al-Buweitî décédé en 231 A.H. (854 E.C.),
  2. Ismâ`îl Ibn Yahyâ Al-Muznî, décédé en 264 A.H. (874 E.C.). Ce fut un savant, un ascète, un mujtahid, spécialiste des débats. Un grand nombre de savants du Khorasân, de l’Iraq et du Shâm (actuels Syrie, Liban) ont étudié l’école juridique chaféite auprès de lui,
  3. Ar-Rabî` Ibn Sulaymân Al-Murâdî qui fut un muezzin de la mosquée de `Amr Ibn Al-`Âs où l’Imâm Ash-Shâfi`î tenait son cercle de science. Il accompagna Ash-Shâfi`î et devint une référence incontournable dans la transmission des paroles de l’Imâm et ses livres qui nous sont arrivés par la voie d’Al-Murâdî.

Par les efforts des ces juristes, ainsi que leur disciples connus et enregistrés dans les classes des chaféites, l’édifice de l’école chaféite s’est élevé, offrant un précieux patrimoine juridique à la communauté.

Son Rang

Les juristes, les savants du Hadîth, ceux des fondements et les experts de la langue s’accordent sur le fait que l’Imâm Ash-Shâfi`î fut un grand Imâm de la communauté, un homme de confiance, un ascète plein de scrupules, un pieux, un dévot, un savant prééminent, au rang distingué. Il fut loyal dans ses débats, nobles dans ses manières, et il ne cherchait que la vérité, loin de la renommée, si bien qu’il dit une phrase qui devint très célèbre après lui : " je n’ai jamais débattu avant quelqu’un sans aimer qu’il soit guidé vers le succès et qu’il soit soutenu ; je n’ai jamais débattu sans espérer que la vérité apparaisse, indifféremment par ma langue ou celle de l’autre ".

Il nous suffit le témoignage plein d’amour et de respect de son disciple, le noble Imâm Ahmad Ibn Hanbal. Interrogé par son fils Abd Allâh au sujet d’Ash-Shâfi`î, l’Imâm Ahmad dit : " o mon fils, Ash-Shâfi`î fut ce que le soleil est pour le jour et ce que la bonne santé est pour les gens ". L’Imâm Ahmad suivait fidèlement les cours de l’Imâm Ash-Shâfi`î et disait à l’un de ses amis : " O Abû Ya`qûb, puise dans la science de cet homme, mes yeux n’ont guère vu un homme comme lui ".

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Le soleil des juristes persévéra dans l’enseignement de l’islam jusqu’à son dernier souffle. Il entamait après la prière de l’aube son cours pour ceux qui veulent apprendre le Coran et ses sciences. Puis lorsque le soleil se levait, ces étudiants s’en allaient et arrivaient les étudiants du Hadîth. Puis à la fin du cours de Hadîth, venait le tour de ceux qui veulent apprendre la grammaire, l’éloquence et la poésie et ses règles. L’Imâm a écrit un recueil de poésie qui un véritable trésor de sagesse et d’exhortations. Pendant toute la matinée, l’Imâm arrosait les cœurs assoiffées de science.

Mort de l’Imâm

L’Imâm Ash-Shâfi`î, qu’Allâh lui fasse miséricorde, avait fait connaissance avec notre dame As-Sayyidah Nafîsah à son arrivée en Égypte. Il entretint de relations solides avec elle. Il avait coutume de lui rendre visite sur son chemin pour la mosquée de `Amr Ibn Al-`Âs. Pendant le mois du Ramadan, il accomplissait les prières du Tarawîh avec elle, dans sa mosquée (la mosquée d’As-Sayyidah Nafîsah). L’Imâm lui rendait visite en la compagnie de certains de ses amis et disciples, et il insistait, lui qui est un soleil de piété, à ce qu’elle invoque Dieu pour lui en espérant bénéficier de sa bénédiction. Lorsque la maladie l’empêchait d’aller la voir, il lui envoyait un disciple comme Ar-Rabî` Al-Jîzî en le chargeant de lui dire : " Ton cousin Ash-Shâfi`î est malade et te demande d’invoquer Dieu pour lui ". Elle levait alors les yeux vers le ciel et invoquait Allâh, la guérison atteignait l’imâm avant même le retour de son disciple. Lorsqu’il fut atteint de la maladie de sa mort, fidèle à son habitude, il lui envoya un messager pour qu’elle prie pour lui. Elle dit au messager : " qu’Allâh lui accorde la douceur de regarder Sa Noble Face". Au retour du messager, l’imâm lui demanda ce qu’elle lui avait répondu. Il comprit alors qu’il allait quitter la vie ici-bas et qu’il allait bientôt retourner à Dieu.

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Il décéda le 30 Rajab 204 A.H. (le 20/01/820). Il fut enterré au Caire, dans le cimetière Al-Qarâfa As-Sughrâ. Que Dieu couvre sa tombe par les nuages de Sa Miséricorde, qu’Il y déverse la pluie de Sa Bienfaisance et qu’Il l’illumine. Âmîne.

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Al-Khawarizmî Un illustre mathématicien

Celui qui a donné son nom à l’algorithmie

Abû cAbdullah, Muhammad Ibn Mûsâ Al-Khawarizmî est né à Khawarizm (Kheva), au sud de la mer d’Aral, dans l’actuel Ouzbékistan (pays musulman pendant un millénaire jusqu’à la colonisation par les Russes en 1873). Ses parents ont migré au sud de Baghdâd quand il était enfant. Les dates exactes de sa naissance et mort ne sont pas connues mais d’après certains de ses écrits, on situe sa naissance dans la période 813-833 et sa mort aux environs de l’année 840 ( 27 ans !).

Il est particulièrement connu pour son invention du concept d’Algorithme. Il s’intéressa principalement aux mathématiques mais il consacra aussi une partie de son temps à l’astronomie et à la géographie, sans parler de la poésie. Al Khawarizmi est certainement un des plus grands mathématiciens de l’histoire humaine en ce sens qu’il fonda plusieurs branches des mathématiques. Non seulement il élabora l’aspect systématique de la discipline (avec introduction de l’ « inconnu », « chose », « chay » en arabe, ce qui est probablement devenu xay puis x) mais donna aussi les solutions générales des équations linéaires (Ier degré) et quadratique (2nd degré).Le nom « algèbre » vient de son célèbre livre Al-Jabr wal-Muqâbalah. Il fit une synthèse des connaissances grecques et hindoues en arithmétique et y apporta sa contribution ensuite.

Par exemple, il explique l’usage du chiffre 0, un chiffre d’importance fondamentale pour la suite. Au-delà de son utilisation du système numérique indien, il développa plusieurs procédés d’arithmétique, incluant des opérations ou des fractions par exemple.C’est à travers ces travaux que le système décimale a été introduit d’abord chez les Arabes et plus tard en Europe. En plus de cela, il développa en détail des tables trigonométriques (avec entre autres la fonction sinus). En géométrie, il raffina la représentation géométrique des sections coniques. Son développement du calcul d’erreurs l’amena au concept de différenciation (plus tard repris et développé par Newton). Ses ouvrages d’arithmétique firent autorité au niveau universitaire juqu’au 16eme siècle.En astronomie on lui doit un recueil de tables astronomiques.En géographie, il reprit les travaux de Ptolémée et les corrigea en détail. 70 géographes ont travaillé sous sa responsabilité pour la réalisation de la 1ère carte du monde (connu), vers 830. On rapporte aussi qu’il procéda, à la demande du Calife Ma’mûn Ar-Rashid, à des mesures visant à accéder aux valeurs du volume et de la circonférence terrestre.Tous ces ouvrages, que ce soit en mathématique, géographie ou astronomie ont été traduits. La réputation de ce savant encore trop mal connu a traversé les siècles.

Jâbir Ibn Hayyân Un grand chimiste

Jâbir Ibn Hayyân, connu au Moyen-Age sous le nom de l’alchimiste Geber, est réputé comme étant le Père de la Chimie. Son nom entier est Abû Mûsâ Jâbir Ibn Hayyân. Il s’est établi comme un scientifique de premier plan en exerçant la médecine et l’alchimie à Al-Koufah (Irak) vers 776 après J.-C. Au cours de sa jeunesse, il était sous la protection du Ministre Barmaki, pendant le Califat abbasside de Haroun Ar-Rachid. Jâbir mourut en 803 après J.-C.

La contribution majeure de Jâbir (ou Geber) s’est faite en Chimie. Il est célèbre pour avoir rédigé plus de cent traités monumentaux dont vingt-deux ont trait à la chimie et à l’alchimie. Il introduisit la méthode expérimentale en alchimie (mot dérivant du terme arabe al-kîmiâ), donnant ainsi l’élan à la Chimie moderne. Jâbir mit l’accent sur l’expérimentation et sur le développement de méthodes qui permettraient d’assurer la reproductibilité de ses travaux. Il concentra ses efforts sur la mise au point de procédés chimiques de base et sur l’étude de différents mécanismes de réactions chimiques. Il aida ainsi à faire émerger la chimie en tant que science par opposition aux légendes de l’alchimie. Jâbir insista sur le fait que des quantités définies de différentes substances sont impliquées dans les réactions chimiques. Par conséquent, on peut dire qu’il ouvrit la voie à la loi de conservation de la masse.

Sa contribution à la chimie qui est d’une importance fondamentale inclut le perfectionnement de techniques scientifiques comme la cristallisation, la distillation, la calcination, la sublimation et l’évaporation ainsi que la mise au point de plusieurs instruments permettant de réaliser ces expérimentations. La plus grande réalisation concrète de Jâbir est la découverte des minéraux et des acides, qu’il prépara pour la première fois dans son alambic (al-imbîq en arabe). Son invention de l’alambic permit au processus de distillation de devenir aisé et méthodique. Parmi ses différentes percées, on peut citer la préparation des acides nitrique, chlorhydrique, citrique et tartrique. L’insistance de Jâbir sur la méthode expérimentale est de première importance. C’est sur la base de ces travaux qu’il est considéré comme le père de la Chimie moderne. Selon les mots de Max Mayerhaff, le développement de la chimie en Europe peut être directement relié à Jâbir Ibn Hayyân.

Jâbir fut le pionnier d’un grand nombre de processus chimiques appliqués. Ses contributions incluent la mise au point de l’acier, la préparation de différents métaux, la prévention face à la corrosion, l’inscription sur l’or, l’utilisation du dioxyde de manganèse pour la fabrication du verre, la teinture des tissus et le tannage du cuir, le vernissage de tissus imperméables, l’identification de peintures et de graisses. De surcroît, il développa l’aqua regia pour la dissolution de l’or.

Les idées expérimentales de Jâbir ont ouvert la voie à ce qui est aujourd’hui communément connu sous le nom de classification des éléments en métaux, non-métaux et substances volatiles. Il distingua trois types de substances en fonction de leurs propriétés :

  1. les spiritueux, c’est-à-dire, les substances qui se vaporisent par réchauffement, comme le camphre, l’arsenic et le chlorure d’ammonium.
  2. les métaux comme l’or, l’argent, le plomb, le cuivre, le fer.
  3. les composés qui ne peuvent être réduits en poudre.

Les traités de Jâbir en chimie, dont son Kitâb Al-Kîmiâ (Le Livre de la Chimie) et son Kitâb As-Sab`în (Le Livre des Soixante-dix), furent traduits en latin au Moyen-Age. La traduction de Kitâb Al-Kîmiâ fut publiée par l’Anglais Robert de Chester en 1144 sous le titre " The Book of the Composition of Alchemy " (Le Livre de la Composition de l’Alchimie). Le deuxième ouvrage fut traduit par le célèbre Gérard de Crémone (mort en 1187). Berthelot traduisit quelques livres de Jâbir sous les titres " Livre du Royaume ", " Livre des Balances ", " Livre du Mercure Oriental ". Il est évident qu’il n’a pas repris les titres corrects pour les ouvrages de Jâbir. L’Anglais Richard Russel traduisit et publia en 1678 une autre œuvre de Jâbir sous le titre " Sum of Perfection " (Somme de la Perfection). Il le décrivit comme Geber, le plus célèbre prince et philosophe arabe. Ces traductions ont été populaires en Europe pendant plusieurs siècles et ont influencé l’évolution de la chimie moderne. De nombreux termes techniques introduits par Jâbir, comme alcali, se retrouvent dans différentes langues européennes et font désormais partie du vocabulaire scientifique. Seuls quelques-uns de ses écrits ont été édités et publiés, alors que beuacoup d’autres préservés en arabe n’ont pas encore été traduits. Jâbir contibua également dans d’autres sciences comme la médecine et l’astronomie.